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Grosjean Vins : le changement climatique rend ainsi les vins (bio) du Val d'Aoste plus structurés

Le secteur vitivinicole est peut-être l’un des plus vulnérables à l’urgence climatique mondiale. Alors que de nombreuses régions viticoles luttent contre une chaleur excessive et une maturation déséquilibrée, dans la Vallée d'Aoste, terre de viticulture « héroïque », l'altitude transforme ce défi en un avantage qualitatif inattendu. Nous avons eu le plaisir de le constater personnellement en participant à une dégustation exclusive de vins Grosjean organisée à Rome dans le restaurant étoilé de Giulio Terrinoni, pour comprendre comment cette famille de vigneron pionnier du bio dans la région, transforme l'altitude « héroïque » en un bastion d'excellence et de durabilité, parvenant à créer des vins non seulement excellents, mais aussi structurés et de longue garde.

L'histoire héroïque de Grosjean

L'histoire des Grosjeans, sages gardiens des raisins indigènes, est inextricablement liée à celle de la Vallée d'Aoste. La présence de la famille est attestée dès les premières décennies du XVIIe siècle lorsqu'ils furent invités par le duc de Savoie à repeupler la Vallée après la peste de 1630. Ce sont d'abord les moines, d'abord bénédictins puis cisterciens, qui importèrent la savoir-faire de la viticulture dans la région alpine, transformant les bois en environ 3 500 hectares de vignes.

Cette tradition subit cependant un coup dur à cause du phylloxéra et du mildiou, mais surtout avec l'arrivée du chemin de fer au début du XXe siècle, mis en service pour l'industrie sidérurgique des mines de Cogne. Le chemin de fer importait du vin piémontais, en particulier « le flacon de paille », qui, étant « légèrement plus alcoolisé, moins acide, plus intéressant », était commercialement plus pratique, poussant ainsi les producteurs locaux à abandonner la viticulture.

La renaissance de l'entreprise Grosjean n'intervient qu'après la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1960, grâce au Dauphin Grosjean et à son épouse Michelina Cachoz :

Le grand-père Dauphin a pris la décision courageuse d'éliminer l'élevage, en se concentrant « exclusivement sur le raisin et le vin » – nous dit Hervé Grosjean – il s'est concentré sur le rendement avec des raisins comme le ciliegiolo, une grappe nombreuse et productive.

Aujourd'hui, l'entreprise est dirigée par la troisième génération, quatre cousins ​​​​qui ont consolidé un parcours de qualité, chacun suivant sa propre attitude et apportant ses propres compétences à la cave.

Quand le climat change le vin (et l'améliore)

vins de grosjean

Le changement climatique en Val d'Aoste n'est pas une hypothèse, mais une réalité perceptible même à des altitudes de 600 à 900 mètres. Hervé Grosjean, entre autres également œnologue du domaine, nous a fourni des données éloquentes :

si en 2003 les températures maximales enregistrées dans la vallée avoisinaient les 30°C, en 2017 elles atteignaient 42°C. L’effet direct est l’augmentation de la concentration en sucre dans les raisins.

Hervé nous raconte une anecdote exemplaire : il est tombé récemment sur le journal de son père de 1990 dans lequel il notait que c'était un événement à célébrer lorsque le Petit Gros atteignait 12 degrés d'alcool naturel ; « aujourd'hui, dans les millésimes 2022-2023, le même raisin a atteint 13 degrés avec une « facilité absurde »

Ces chiffres se traduisent par des vins plus structurés et plus corsés, une caractéristique qui s'avère être un avantage sur un marché qui recherche « de la fraîcheur, de la légèreté, de la minéralité, un vin maigre ». Aujourd'hui, les vins valdôtains, grâce à l'altitude, parviennent à équilibrer la teneur croissante en alcool (structure) avec une acidité et une fraîcheur adéquates.

Un brillant exemple est la Petite Arvine, un cépage blanc importé du Valais suisse. Il s'agit d'une vigne tardive, vendangée normalement après le 10 octobre, considérée par l'entreprise comme celle qui « s'adaptera encore mieux à ce changement climatique ». Nous avons dégusté la VdA DOC Petite Arvine « Les Frères » 2023, que James Suckling a récompensé de 95 points, vantant son bouquet de «des fruits exotiques, comme le litchi, la mangue et l'ananas, et des notes de fleurs blanches», démontrant que même avec un potentiel de 14 degrés alcooliques, l'acidité alpine garantit sa complexité.

Parmi les rouges, certains cépages autochtones se distinguent car ils bénéficient des nouvelles structures climatiques, augmentant ainsi la qualité des vins. acquérir de la complexité sans perdre en élégance. Le Fumin, qui est aussi le dernier cépage à clôturer les vendanges, est peut-être le vin rouge emblématique de Grosjean. Sa dégustation révèle « des arômes amples et enveloppants », avec des notes épicées et de petits fruits, une « gorgée longue et verticale, avec un grand élan acide et salé » qui lui confère un potentiel d'avenir considérable. Le VdA DOC Fumin Vigne Rovettaz 2023 a obtenu 94 points de James Suckling.

Une autre référence fondamentale à la tradition et à l'excellence est Donnas. Cette appellation est historique dans la région et fut la première DOC obtenue de la Vallée d'Aoste en 1971. Donnas, dont les vins sont à base d'au moins 85% de Nebbiolo (ou Picotendro), est l'une des zones viticoles de la basse vallée. Le domaine Grosjean élargit son parcours de valorisation avec un « espace entièrement dédié au Nebbiolo-Picotendro dans le cru Donnas ». Donnas DOC nécessite un vieillissement d'au moins 24 mois, dont 10 en fûts de bois. Récemment, Grosjean's Donnas a reçu 95 points et le « Faccino DoctorWine ».

Cependant, ce processus de maturation dû au changement climatique est probablement visible sur le VdA DOC Pinot Noir Vigne Tzeriat 2023 (96 points de lait), décrit comme « frais et croquant, mais à la fois savoureux et structuré » qui s'est en réalité révélé dans toute sa structure et sa « sagesse ».

Le choix bio : une cohérence au-delà de la certification

La démarche de Grosjean ne se limite pas à la certification biologique, obtenue en 2011 en tant que premier domaine viticole valdôtain. Leur véritable particularité est la cohérence, une valeur qui imprègne chaque choix, de la vigne à la cave, basée sur la conscience de vivre « dans l'une des zones les plus précieuses de la planète ».

Il y a 50 ans déjà, Grand-Père Dauphin « n'utilisait pas de pesticides et d'acaricides dans nos vignes » – nous dit Hervé et cette philosophie verte a évolué à travers des choix qui vont au-delà du label bio.

L'entreprise a en effet investi dans l'efficacité et les économies d'eau : la cave est « autosuffisante en énergie » depuis 2022, grâce à la mise en place de systèmes photovoltaïques et lutte contre la sécheresse grâce à des systèmes d'irrigation « goutte à goutte » pour « d'importantes économies d'eau ». De plus, l'utilisation de « rippers » (dents de fer) également en été réduit l'évapotranspiration du sol, « économisant encore une fois l'eau ».

Pour garder les terres saines, l'entreprise pratique le travail en sous-rangs pour « aérer nos terres » et utilise de l'engrais vert pour les semis d'automne. L'engrais vert, déposé plutôt que réenfoui, fait office de « paillis » et permet « d'héberger nos insectes pollinisateurs le plus longtemps possible ». L’objectif est d’apporter de la matière organique au sol de manière naturelle. La viticulture valdôtaine est définie comme « héroïque » en raison des pentes qui atteignent jusqu'à 80 % et qui nécessitent un effort manuel très élevé : « 700/800 heures par hectare », environ « 5/6 fois au-dessus de la moyenne nationale » de 150 heures/hectare.

En cave, la priorité est à l'utilisation de « raisins de première qualité ». Le style adopté est le « style de vinification traditionnel valdôtain » ou « vinification bourguignonne », axé sur « quelques procédés indispensables ». L'ancienne « technique du foulage » (casser le capuchon du marc) a été redécouverte et réadoptée, considérée comme « très respectueuse de nos peaux ». L'objectif premier est de « réduire l'utilisation de dioxyde de soufre au minimum possible », en maintenant des niveaux « bien inférieurs à la quantité minimale requise ».

Malgré les enjeux climatiques, l'altitude et la ténacité des Grosjeans offrent une réponse de qualité.

On peut considérer les vins de Grosjean – qui avec ses 25 produits différents qui représentent aujourd'hui environ 10% de la production valdôtaine – non pas comme de simples produits agricoles, mais comme des bateaux de course naviguant dans une mer agitée : alors que la majorité des bateaux (vins de plaine) risquent de couler à cause de trop de vent (chaleur excessive), les vins alpins (grâce à l'altitude) sont construits avec une coque plus solide (structure et alcool) et une quille profonde (acidité et fraîcheur) qui leur permet de résister la force du climat et naviguer vers l’excellence, là où d’autres ne peuvent pas atteindre.

Bref, l'histoire de Grosjean, depuis la renaissance souhaitée par Grand-Père Dauphin jusqu'à la gestion actuelle des quatre cousins, est un exemple de la façon dont l'engagement en faveur de la cohérence biologique et de l'adaptation aux cycles climatiques conduit à un résultat impeccable : distiller « autant de beauté d'autant d'émerveillement, dans chaque bouteille de notre vin ».

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